Je diviserai mon propos introductif en trois grandes parties : le blocus du Haut-Karabakh (Artsakh), le conflit entre l’Azerbaïdjan et le Haut-Karabakh et nos attentes de la communauté internationale.
225 jours de blocus et 40 jours de siège total
L’arrière-fond et le contexte du siège de l’Artsakh ont déjà été largement présentés.
Il est évident que dans un contexte d’impunité internationale absolue, l’Azerbaïdjan renforce continuellement la répression contre le peuple d’Artsakh dans le but non-dissimulé d’un nettoyage ethnique, sur la base d’une politique de haine et de discrimination ethnique.
Dans le même temps, la Cour internationale de justice des Nations Unies et la Cour européenne des Droits de l’homme ont rendu des décisions juridiquement et politiquement contraignantes pour assurer la libre circulation dans les deux sens des personnes, des véhicules et des marchandises dans le corridor de Lachine.
En outre, le Parlement européen, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, les autorités législatives et exécutives de divers États, et les organisations internationales de défense des Droits de l’homme qui font autorité ont formulé des demandes et lancé des appels clairs aux autorités azerbaïdjanaises afin qu’elles mettent fin au siège de l’Artsakh et s’abstiennent de recourir à la force ou à la menace de son utilisation. Cependant, l’Azerbaïdjan a non seulement ignoré les décisions de justice et les demandes de la communauté internationale, mais a également élargi et approfondi plus encore le blocus et les menaces militaires.
– 1. Les objectifs du blocus.
À travers le blocus de l’Artsakh, l’Azerbaïdjan poursuit un certain nombre d’objectifs, notamment :
à long terme :
– Se débarrasser du peuple d’Artsakh en procédant à un nettoyage ethnique complet de l’Artsakh et en clôturant par la force l’épisode du conflit.
à moyen terme :
– Assujettir par la force son peuple et détruire la République d’Artsakh et les moyens de sa résistance, pousser le peuple d’Artsakh à émigrer, ruiner l’économie de l’Artsakh, obtenir un moyen de pression supplémentaire sur l’Arménie, notamment afin d’obtenir une route extraterritoriale entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan à travers son territoire.
à court terme:
Soumettre le peuple d’Artsakh à la terreur psychologique, établir un contrôle permanent sur les entrées et les sorties d’Artsakh, créer des conditions de vie insupportables en Artsakh, tester et franchir les lignes rouges des parties arméniennes, discréditer les garanties internationales et régionales de sécurité et de stabilité.
– 2. Les formes revêtues par ce blocus
• Blocage de la circulation des personnes, des véhicules et des marchandises.
• Perturbation des infrastructures, dont l’électricité, le gaz, l’approvisionnement en eau
et les communications.
• Blocus sécuritaire : attaques et provocations fréquentes, militarisation intensive des
zones, tirs sur les personnes effectuant des travaux agricoles.
• Blocus psychologique: rhétorique agressive, recours à la force et à la menace de la
force, création d’un climat d’incertitude et de peur.
• Blocus de l’information: diffusion de désinformation et de fausses nouvelles, blocage
de l’accès à la région aux missions internationales d’enquête, aux journalistes, aux
organisations humanitaires.
– 3. Les conséquences du blocus.
En raison du blocus, nous nous trouvons face une catastrophe humanitaire qui se manifeste dans tous les domaines de la vie : de l’alimentation aux soins de santé, de l’agriculture à l’éducation. Des décès de nouveau-nés et de patients âgés atteints de maladies chroniques sont déjà signalés. Ils sont la conséquence directe ou indirecte du blocus.
• La disette est là car, avant le blocus, près de 90 % de la nourriture consommée en Artsakh était importée d’Arménie. Pas un kilogramme de nourriture n’a pénétré en Artsakh depuis 40 jours, et la production locale limitée et son approvisionnement ont été fortement affectés par le manque de carburant et d’autres matériaux nécessaires pour assurer les activités agricoles.
• En raison du manque quasi-total de carburant et d’autres matériaux et fournitures, 80% des travaux agricoles n’ont pas été effectués. Même la récolte des céréales a été organisée dans un volume très réduit. Les entreprises encore partiellement opérationnelles pendant le blocus sont maintenant arrêtées. Les transports publics ont presque complètement cessé. Les soins de santé et d’autres services essentiels fonctionnent avec beaucoup de difficulté.
• Divers types de médicaments sont en rupture totale ; d’autres sont au plus bas mettant la vie et la santé des personnes en danger. Le nombre de décès et de complications chez les enfants à naître et les nouveau-nés a doublé. L’anémie chez les femmes enceintes a atteint 90 %. Tous les examens et les opérations planifiées ont cessé. Des centaines de patients ne peuvent plus se rendre en Arménie ou à l’étranger pour se faire soigner. D’importants équipements médicaux sont hors service en raison des pannes de courant et du manque d’entretien requis.
• En raison de problèmes de chauffage et de nourriture, les écoles et les jardins d’enfants ont été totalement ou partiellement fermés à plusieurs reprises. En raison de la terreur psychologique organisée et de la malnutrition, la réceptivité et les progrès des enfants ont été fortement affectés. Des centaines d’élèves ne peuvent plus se rendre en Arménie et à l’étranger afin de poursuivre leurs études.
• Cela fait maintenant 196 jours que l’Azerbaïdjan a interrompu l’approvisionnement en électricité depuis l’Arménie vers l’Artsakh entraînant des pannes de ventilateurs pendant au moins six heures par jour et de nombreuses entreprises économiques ont de ce fait cessé de fonctionner. L’approvisionnement en gaz a été complètement arrêté durant 158 jours, entraînant de nombreuses conséquences socio-économiques.
• Dans le secteur privé, toutes les usines ont été fermées, presque toutes les entreprises de services ont été fermées. Plus de 80 % des travailleurs du secteur privé sont au chômage, soit plus de 15 000 personnes. La construction de 3 700 appartements prévue pour l’année 2020 a été stoppée. Pour les familles déplacées par la guerre, la perte directe a été d’environ 430 millions de dollars, soit près de 50 % du PIB annuel projeté.
– 4. Les avis sur les conséquences du blocus.
L’Azerbaïdjan a délibérément créé ces conditions de vie pour le peuple d’Artsakh qui visent à la destruction totale ou partielle du peuple d’Artsakh. Le droit international qualifie une telle politique de génocide et oblige tous les États de la communauté internationale à prendre des mesures pour prévenir le crime de génocide.
Les affirmations de l’Azerbaïdjan selon lesquelles la question de l’Artsakh est « son affaire intérieure » rappellent les justifications des dirigeants de l’Allemagne nazie lors des procès de Nuremberg, lorsque les meurtres de masse étaient également qualifiés « d’affaires intérieures ».
La communauté internationale civilisée n’accepte pas de telles explications et rejette l’existence du droit de commettre des violations massives des droits de l’homme en prétextant que ce sont des « affaires intérieures ».
Tout retard dans une action décisive de la communauté internationale nous rapproche jour après jour du point de non-retour.
Le conflit entre l’Azerbaïdjan et le Karabakh
Le conflit ne pourra être considéré comme résolu tant que les problèmes politiques sous-jacents ne seront pas résolus. Cela concerne les problèmes liés à la sécurité et aux droits du peuple d’Arshakh, jusqu’à la reconnaissance et la protection du droit à l’autodétermination.
Dans le même temps, il convient de souligner que le conflit entre l’Azerbaïdjan et le Karabakh doit être réglé par des négociations. La République d’Artsakh a toujours été ouverte aux négociations avec l’Azerbaïdjan pour parvenir à un règlement équilibré, équitable et digne du conflit.
Nous partons du principe que les négociations doivent se tenir dans le cadre d’un format international reconnu et accompagné d’un mandat approprié. Cela garantirait la participation active de la communauté internationale au processus de négociation et sa légitimité.
Les négociations doivent être basées sur la volonté sincère des deux parties de résoudre de bonne foi leurs différends. Elles ne doivent pas revêtir un caractère démonstratif pour imposer la volonté d’une partie sur l’autre.
Dans le cadre du processus de négociation, la communauté internationale doit s’assurer que la force, ou la menace de la force, ne sera pas utilisée. Des mécanismes efficaces de garanties internationales sont également nécessaires qui assureront le respect des obligations contractées par les parties.
Il est de la plus haute importance que les parties s’abstiennent de recourir à des mesures coercitives unilatérales, y compris politiques, militaires et tout autre moyen de coercition. Le but des négociations ne devrait pas être de légaliser ou d’imposer des ultimatums, mais de créer un climat de coopération.
L’exploitation de la souffrance humaine est inacceptable. Le blocus des transports et de l’énergie de l’Artsakh dont le but est de soumettre son peuple à des privations extrêmes doit être arrêté immédiatement et sans aucune condition, conformément aux décisions des tribunaux internationaux et aux principes de justice.
La fin du blocus et l’allègement des souffrances de la population créeront les conditions préalables minimales nécessaires pour entamer des négociations et créeront des conditions plus favorables à des discussions constructives.
Les bases du processus de négociation devraient être exclusivement le respect des normes du Droit international et des valeurs universelles telles que la justice, la dignité et l’égalité. Toute limitation artificielle susceptible de prédéterminer l’issue des négociations doit être exclue.
Il est important de souligner que l’une des questions-clés du processus de paix a été, et continue d’être, la question du statut de l’Artsakh, qui, du point de vue du droit international, reste non résolue.
Le droit de notre peuple à l’autodétermination et la nécessité de prévenir le génocide créent une base indiscutable pour garantir et reconnaître l’autodétermination sur la base du concept de « sécession-remède ». Ce principe a eu une grande importance en 1991 lorsque les Soviets de la région autonome du Haut-Karabakh et de la région de Chahoumian ont proclamé la République du Haut-Karabakh sur la base du Droit international et de la législation de l’URSS.
Nos attentes de la communauté internationale
Au regard de la situation désastreuse actuelle et des menaces croissantes qui pèsent sur l’existence physique de notre peuple, je déclare aujourd’hui l’Artsakh « zone sinistrée », dans l’attente d’une réponse internationale urgente et d’un soutien sécuritaire, politique et humanitaire de la part de la communauté internationale, collectivement et individuellement.
L’Artsakh est désormais la seule région au monde totalement isolée et assiégée, sans aucune aide humanitaire, ni présence internationale.
En l’absence de soutien international direct dans ce contexte de « zone sinistrée », l’Artsakh peut d’ores et déjà être largement considéré comme un camp de concentration, avec tout ce que cela entraîne de conséquences.
J’ai adressé des messages aux présidents des pays coprésidents du groupe de Minsk de l’OSCE qui sont également membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi qu’aux agences des Nations unies pour décrire en détail la situation humanitaire en Artsakh et exiger de prendre des mesures efficaces pour répondre de manière appropriée à la situation.
Le moment est venu de prendre des mesures unilatérales en dernier recours pour prévenir un crime de masse.
• Bien évidemment, nous avons en tout premier lieu des attentes des pays signataires de la « Déclaration tripartite du 9 novembre 2020 », plus particulièrement de la Russie, afin qu’elle remplisse ses obligations de garant de la sécurité de l’Artsakh, et en particulier de l’Arménie en lui demandant de s’abstenir de toute déclaration et de toute action visant à reconnaître l’Artsakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan, en respectant le droit du peuple d’Artsakh à l’autodétermination.
• Nous exigeons que dans le cadre de son mandat et de ses obligations, le Conseil de sécurité de l’ONU prenne des mesures décisives pour empêcher la politique génocidaire mise en œuvre par l’Azerbaïdjan et assurer la mise en œuvre des décisions de la Cour internationale de justice de l’ONU et de la Cour européenne des droits de l’homme d’ouvrir le corridor de Lachine.
• A cet égard, j’estime urgente l’implication des Nations Unies, de l’ensemble de son système et des agences spécifiquement habilitées à intervenir dans les situations de crises humanitaires.
• Je demande au Secrétaire général des Nations Unies de faire preuve de responsabilité morale et politique et d’assurer le leadership pour avertir la communauté internationale du sort du peuple d’Artsakh. Je demande que M. Guterres mobilise immédiatement et sans hésitation le système onusien pour résoudre cette crise. Je suis prêt à présenter personnellement la situation humanitaire en Artsakh au Secrétaire général des Nations Unies, M. Guterres, en visio-conférence.
• J’attends des adjoints du Secrétaire général de l’ONU pour les questions humanitaires ainsi que pour les questions politiques et de consolidation de la paix, qu’ils agissent sans tarder pour dénoncer la crise en Artsakh et exiger des efforts immédiats de la communauté internationale afin d’accorder un mandat pour l’entrée et la présence des Nations Unies en Artsakh.
• Je demande aux Directeurs exécutifs de l’UNICEF, du Programme alimentaire mondial des Nations Unies, du Fonds des Nations Unies pour la population, du Directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé d’utiliser leurs mandats et d’assumer leurs responsabilités pour exiger leur présence en Artsakh afin de fournir une aide urgente et continue au peuple d’Artsakh.
• Nous exigeons des acteurs impliqués qu’ils cessent d’encourager l’ordre du jour criminel de l’Azerbaïdjan qui ne fait qu’aggraver les souffrances des innocents et nous appelons à la mise en œuvre de mesures concrètes pour garantir un environnement favorable pour la sécurité du peuple d’Artsakh et pour un règlement pacifique et équitable du conflit.
• Aujourd’hui, la prévention des génocides et autres crimes de masse est une obligation assumée par la communauté internationale. Il est inacceptable que l’obligation de prévenir le génocide ne s’exprime que par une volonté de réunir les parties autour de la table des négociations.
• La communauté internationale, en premier lieu le Conseil de sécurité de l’ONU dont les trois pays coprésidents du groupe de Minsk de l’OSCE sont également membres et qui est responsable de la paix et de la sécurité internationales – y compris de la prévention des crimes de masse- a le mandat, les outils nécessaires et l’obligation de mettre fin à la politique génocidaire de l’Azerbaïdjan.
• Enfin, l’impunité internationale de l’Azerbaïdjan doit cesser un jour ou l’autre, sinon, elle donnera naissance à de nouveaux crimes, pires encore que ceux que nous avons connus et à la veille desquels nous sommes désormais.